Présentation

1/ Je me souhaite protéiforme.

Protée est un dieu grec, gardien du troupeau des phoques et des monstres marins de Poséidon.
Un troupeau est un agrégat cohérent de multiples formes vivantes dont les actions singulières ne sont pas coordonnées entre elles. Protée, le dépositaire du troupeau, possède la capacité de se métamorphoser.

Me métamorphoser dans le but d'élaborer un troupeau, tel pourrait être l'aphorisme de mes tentatives.

Me métamorphoser, c'est prendre une autre forme et adopter un autre point de vue sans pour autant m'abandonner au dédoublement de personnalité. J'alterne ainsi différentes positions : Peintre, Programmateur, Comissaire indépendant...

Comment contenir un
troupeau ?

1 - Séries de peinture :
Peindre en série, en grand nombre.
Chaque peinture reste singulière alors qu'elle appartient à un ensemble cohérent.
A la différence d'un système reliant la multiplicité en vue d'une finalité, c'est un agrégat de phoques picturaux sans finalité.

2 - programmations, vidéos :
Bricoler des logiciels génératifs.
Détourner des jeux vidéos (des jeux de stratégies, des first-person shooter...), afin de les activer en performance ou en installation.
Un modèle génératif sans objectifs précis, va saturer les territoires jusqu'à les recouvrir d'une mer de formes enchevêtrées ressemblant à d'improbables monstres marins.

3 - Comissariats :
Construire un centre d'art à l'autre côté de la planète.
Concevoir des concepts et des contextes pour mettre en relation un travail artistique précis et un public n'ayant pas les bases culturellement requises pour une réflexivité intuitive sans contre-sens.
Les artistes étant différents et les contextes étant spécifiques, à travers ce multiple, trouver une cohérence et inventer un troupeau organisationnel.

Frédéric Weigel, 2016


2/
Sauter d’une position à l’autre (artiste, organisateur, critique, spectateur...), c’est le jeu absurde d’une grenouille intelligente qui aime bien les jeux de langage.

Frédéric Weigel se souhaite multi-positions. Tout d’abord en tant qu’artiste, il aime explorer de petites histoires contradictoires dans de grandes séries de peintures et de dessins. Il produit aussi des systèmes informatiques permettant d’accueillir son univers sous forme de jeu vidéo ou de performances assistées par ordinateur. Ensuite en tant qu’organisateur, il tente de poser des cadres structurels permettant à un phénomène artistique d’exister dans des contextes particuliers (investissement de lieux, relation à la société...). Et enfin en tant qu’étranger vivant depuis plusieurs années au Japon, la question des limites culturelles de l’art le taraude. Est-ce que l’art peut supporter un relativisme culturel, ou n’a-t-il d’efficience qu’à l’intérieur des limites de la pensé occidentale?

Frédéric Weigel, 2012


3/
Tout d’abord je souhaite parler du phénomène qui m’intéresse le plus dans ma vie : celui du lait qui boue. Chaque fois que je veux faire bouillir du lait, la même situation se produit. Je prends une casserole que je rempli de lait et je la pose sur le feu, puis au bout d’un certain temps la casserole déborde et le lait envahi toute ma cuisinière. L’astuce de mettre moins de lait dans la casserole ne change rien, elle déborde à chaque fois. Je n’arrive pas à retirer la casserole du feu lorsque le lait est cuit et qu’il n’a pas encore débordé. Je ne peux appréhender que deux états, soit le lait est trop froid, soit il est bouillie et déborde. Pourtant il doit exister un état où le lait est cuit mais ou il ne déborde pas, et j’assiste à cet évènement quand je regarde le lait sortir de sa froideur et déborder de son récipient. Alors je me suis mis à guetter le lait qui chauffe et à tenter d’attraper ce moment, mais je n’arrive pas à me représenter intellectuellement cette tension interne du lait. La grandeur intensive du lait m’échappe en raison. Mais je l’attrape en imagination. La faculté qui est celle de l’imagination, celle de sautiller, d’aller et de venir, de vibrer inlassablement entre les deux états me permet d’atteindre mieux que n’importe quelle idée ce qu’est l’état extraordinairement contradictoire du ni trop froid ni bouilli.

« La première loi de la parole :
Les dents, les bouches
Les dents la bouchent
L’aidant la bouche
Lait dans la bouche
Laid dans la bouche
Laide dans la bouche
L’aide en la bouche
Les dans la bouche (les choses qui sont…)
L’est dans la bouche (l’est = c’est)
L’est dans la bouche (j’ai mal au dent)
Les dents-là bouche ( = cache tes dents-là)
[…] »
( Jean Pierre Brisset )


Mon travail d’artiste n’est rien d’autre que de produire des représentations de cet état de l’imagination, de produire des situations où se manifeste cette tension que seul peut atteindre l’imagination dans sa réflexion sans idée et sans but.

Frédéric Weigel, 2008